« Je vous ai laissé par un matin calme de sortie de pot au noir. La suite, le vent s’est renforcé, et on est partis sur un long bord de reaching pleine balle vers Fernando de Noronha, qu’on a atteint avec grand plaisir au petit matin. Tout est devenu hyper humide immédiatement, l’extérieur, l’intérieur du bateau, nos vêtements, tout, absolument TOUT est trempé. Et c’est dur sur la durée de ne pas pouvoir passer 1 h les fesses au sec. Ça ne sert même à rien de sortir un t-shirt sec car de toute façon, sa durée de vie sèche ne dépassera en aucun cas la minute.
A l’extérieur car il y a un retour de lance à incendie vers l’intérieur de la niche, donc tu as beau te blottir contre la cloison de descente tu te feras tremper à la prochaine vague… À l’intérieur car on est a l’endroit sur la planète où le soleil chauffe le plus fort, donc que chaque partie du bateau ou de peau est chauffé fort par l’astre luisant. Mais surtout, ce qui est vraiment dur c’est que pour recharger les batteries qui alimentent pilote automatique, ordinateur et connexion satellite, on doit faire des charges moteurs plusieurs fois par jour, et que le reste du temps celui-ci diffuse sa chaleur dans la coque centrale pendant des heures… Et comme il est impossible d’ouvrir les hublots de survie car sous l’eau en permanence, et qu’il n’y a pas le moindre trou qui pourrait laisser passer le moindre filet d’air, et bien cette chaleur transforme l’unique espace à peu près sec en une fournaise, on doit dépasser les 40 degrés sans problème jour et nuit. Après la moindre sieste il faut éponger le matelas (heureusement étanche !) d’une flaque (littéralement) de sueur, tellement le corps cherche à se refroidir… À l’arrivée à Fernando on avait de l’eau dans les fonds, mélangés à de l’huile. Sûrement un mix entre les capots qui fuient, les cirés qu’on accroche tant bien que mal sur tout ce qu’on trouve, comme la bouteille d’huile d’olive ou une vis de table à cartes et qui dégoulinent dans la cale moteur. Bref ça a fait une jolie mayonnaise pas très sympa à nettoyer…..
Donc sur ce reaching vers Fernando, on a eu des péripéties : en envoyant le gennacker de capelage, la gaine de la drisse a cassé donc il a fallu ruser pour la récupérer , remettre une gaine aux endroits indispensables et pouvoir la réutiliser . Opération couture et matelotage tous les deux, on a bien géré notre affaire et en une grosse heure de travail l’affaire était réglée. Après, c’est notre 3e et dernière télécommande de pilote automatique qui a rendue l’âme. La faute à l’humidité ? Je pense ! Mais toujours est-il que là on se retrouve à devoir commander le pilote via la tablette sous la niche, mais avec la carto et tout le reste , plus les mains mouillées c’est pas idéal… Ou via 3 espèces de téléphones qui perdent la connexion, qui arrêtent de charger, qui ne réagissent plus, se mettent en veille… Il restera les 4 téléphones embarqués qui pourront si jamais servir de commande mais notre temps de réaction s’est fortement allongé, et c’est dangereux et stressant, parfois. Et quand on est dehors et bien, il n’y a plus moyen de régler le pilote.
Pendant le gros reaching à 25-30 noeuds, on a d’ailleurs eu deux moments forts : le passage de mon premier équateur à la voile, passé en pleine nuit sous la pleine lune, speedo calé bien à 26 noeuds, Armel et moi sous la casquette, en combinaison étanche, les mains sur les écoutes et sur l’ordi, le regard à scruter l’horizon pour déceler les futurs grains qui pourraient nous apporter des difficultés… On a sorti la fiole de rhum fournie par notre photographe et ami Pierre Bourras, et on a pris une petite lampée chacun à la santé de Neptune. Et on est restés concentrés… Il faut dire que tout le monde attaque fort donc si on veut tenir la cadence il ne faut pas faire semblant.
Le multicoque c’est magique car ça avance tout seul à des vitesses démentes, mais ça a un gros inconvénient, c’est que c’est plus stable à l’envers qu’à l’endroit donc il faut faire hyper attention à le garder dans le bon sens. Pour cela on a des sécurités : le pilote est « intelligent », disons qu’il a des modes de conduite pour remettre le bateau à plat en cas de trop de gîte. Et puis il y a le système de largage automatique des écoutes quand un seuil de gîte et de pitch est dépassé. A nous de toujours les utiliser et de les armer. Quand ça devient vraiment chaud, on garde les écoutes en main et on gère les emballées comme cela. Et justement, après le passage de la ligne imaginaire de changement d’hémisphère, un gros gros nuage noir nous est tombé dessus… D’un coup, le vent a forci fort en tournant, le bateau a fait un premier planté, j’ai largué instantanément l’écoute du gennacker que j’avais en main à ce moment, et c’est revenu à l’endroit… Et 20 minutes plus tard, dans le même nuage, un second planté, plus haut en angle où j’ai réussi à faire loffer le pilote sur l’ordinateur pendant qu’Armel choquait la GV… Là encore c’est revenu parce que le bateau a beaucoup de volume dans les étraves de flotteurs, qu’il a un comportement super sain et qu’il n’y avait pas de mer et que le vent n’était pas très fort… Et qu’on a bien réagit. On s’est quand-même fait une petite frayeur et les grains suivants, croyez moi j’étais moins serein…. Ca, c’était donc la séquence émotion, qui nous rappelle que ce qu’on fait n’est pas anodin. On connaît notre métier et on est pas des têtes brûlées , on a un projet sur la durée donc il est hors de question de prendre des risques inutiles. Armel et moi sommes raccords et formels là dessus, ça tombe bien. Je crois que notre binôme fonctionne bien et on se fait sacrément confiance.
Après 12 jours en mer, la fatigue commence à se faire sentir, je me sens moins patient et cette humidité et inconfort de tous les instants me tape un peu sur le système, mais jamais à bord il n’y a de mot plus haut que l’autre. On se parle souvent avec l’accent créole (on est le bateau des Doudous, faut bien assumer !!) c’est toujours fluide et agréable… Mais quand même, cette dernière partie de parcours de 2000mn vers la Martinique au portant VMG est un peu longue et monotone. On joue les petites bascules de vent, on gybe, on change le gennacker, prend un ris, le largue, rempli le ballast arrière, le vide, et ce toute la journée. La nuit dernière a été longue aussi, j’avais du mal à garder les yeux ouverts avant le relais du lever du jour… J’en ai profité pour travailler ma relation avec le pilote automatique en optimisant ses réglages. Il barre bien mieux que nous de toutes façons, alors il nous arrive de prendre la barre mais c’est plus pour se faire plaisir quelques instants qu’autre chose… Ah et sans doute aussi pour fuir l’inconfort de la coque centrale. Le seul endroit où on peut se tenir debout c’est dans la descente, sur le moteur, la tête tordue dans le trou de la niche… C’est bien de s’étirer les jambes, on en a bien besoin, mais je suis resté 5 minutes à cette position avant d’aller à la sieste et j’ai déposé une marre de transpiration sur le sol tellement on crève de chaud. Voilà l’ambiance à bord des P’tits Doudous, toujours heureux d’être là et avec le moral au beau fixe, mais c’est vrai que la douche et l’environnement sec sont quand même des petits détails qu’on aimerait bien retrouver rapidement !!
Ah et pour le folklore, on vient de recouper l’équateur, et juste après on croise Solidaires en Peloton à 5mn sous notre vent… On a discuté à la VHF tout à l’heure, c’est dommage pour eux d’avoir perdu leur grand gennacker, après tous ces efforts pour le réparer en plus… Mais ça fait partie du jeu aussi et les casses matérielles sont une problématique à gérer, comme nous avec notre informatique défaillante par exemple qui nous oblige à naviguer un peu moins proche de la limite… Courage à eux, et préparez fruits et ti punchs en Martinique (et des habits secs aussi svp ! 😉 ) parce qu’on va pas traîner là trop longtemps ! On a hâte d’arriver maintenant qu’on regarde dans votre direction !!«