Le Championnat du Monde de Moth International qui se déroulait la semaine dernière sur le lac de Garde (Italie) a accueilli une flotte de 240 coureurs de haut niveau.
Benoit Marie termine 33ème et premier Français, interview et retour sur cette régate internationale de haut vol :
Benoit, tu viens de terminer ton championnat, comment s’est déroulée cette semaine de régate ?
« J’ai filé directement en Italie après mon retour de New York. J’ai bien enchainé, je suis arrivé une dizaine de jours avant le début de la course, ça m’a permis de faire des speed tests sur le lac de Garde et d’affiner les réglages de mon nouveau gréement pour être prêt pour le Mondial. Je n’ai pas eu de repos entre les courses mais ça m’a permis de régler ma bôme et ma nouvelle voile et ça valait le coup !
Le week-end précédent le Mondial j’ai participé au National Italien pour me roder, j’ai vite compris que le niveau était vraiment élevé vu le monde sur l’eau donc ça rajoute un peu la pression mais ça permet de se mettre dans le bain. Les choses sérieuses ont débuté mardi dernier pour le début du Championnat du Monde avec 2 jours de sélection. Finalement le programme a été décalé au lendemain pour cause de manque de vent et de zone orageuse. Ce début de régate a été très sollicitant nerveusement car dans ce système de sélection on n’a pas le droit à l’erreur.
Les 240 coureurs ont été répartis en 4 groupes et on mixait les départs. Clairement si on loupe une manche, on peut facilement se faire reléguer dans un rond inférieur donc la tension était présente et il fallait naviguer avec. Ca s’est plutôt bien passé et j’ai été heureux de confirmer ma sélection dans le rond or, c’était déjà une première étape de gagnée.
La seconde partie du championnat s’est donc courue sur un rond réunissant de sacrés king kong de la voile, on était 74 à se battre avec un niveau encore jamais vu sur le circuit, entre le nombre de participants et les palmarès des marins, c’était vraiment l’année de tous les records ! Il faut imaginer 70 gars complètement acharnés qui sont prêts à attaquer comme des mules et qui ne lâchent rien aux millimètres près !
Surtout sur ce plan d’eau la tactique est réduite au minimum : il y a un bord obligatoire et il faut aller vite au près sur ce premier virement pour espérer avoir un bon classement là-haut. La prime au départ est hallucinante, il faut attaquer hyper fort dans les premières minutes sinon c’est plié. C’est assez différent de ce qu’on a l’habitude de faire, là on n’a clairement pas le droit à l’erreur. Si tu es 1 mètre en retrait sur le départ, tu ne montes jamais de la manche. Ca implique une concentration extrême et une vitesse maximale sur une ligne de départ sous haute tension.
J’ai d’ailleurs eu une journée plus difficile que les autres car j’avais pris mon petit foil qui m’aurait permis effectivement d’aller plus vite en vitesse pure. Mais il me faisait perdre en cap au près et dans la considération de ce bord obligatoire oça devient un déficit. J’avais reçu mon nouveau foil le jour du début de la course, je l’avais commandé il y a 6 mois et vu la demande qui ne désemplit pas en fabrication, j’ai pu l’essayer à la fin d’une journée mais la plage d’utilisation varie par rapport à l’ancien que j’avais. Après une journée dure pour les nerfs, j’ai changé de foils le lendemain et j’ai retrouvé mes performances avec soulagement.
Après cette journée à part, j’ai retrouvé ma dynamique et j’ai attaqué comme un petit fou sur les départs, je finis sur une très bonne note en réussissant à rentrer une manche de 10 donc c’est top !
Je suis content de ma progression, j’ai compris en discutant sur le parking que c’est difficile pour les nerfs pour tout le monde, il y a un niveau de frustration élevé même pour les meilleurs. On travaille beaucoup sur nos bateaux et sur nos vitesses pendant un an, et au final quand on s’est tous retrouvés sur ce Mondial on constate que toute la flotte a progressé et que la bataille est d’autant plus dure ! Sur les 240 participants il y en avait au moins 150 qui passaient 100% de leurs virements sur les foils, ça vous montre le niveau !
Le niveau est incroyable et c’est une chance de pouvoir naviguer aux côtés de marins de cette qualité. C’était une compétition où on n’avait pas le droit à l’erreur et sous la pression c’est pas si évident mais c’est la vie du haut niveau et c’est passionnant ! Même si le championnat était peu intéressant au niveau tactique, en termes d’attaque et de départ c’était très formateur ! »
Le niveau semble élevé, ton retour ?
« La classe Moth attire de plus en plus de coureurs issus du très haut niveau, que ce soit de la Coupe de l’América, des Jeux Olympiques, de la Volvo Ocean Race,…
C’est LE support en vogue du moment : c’est le dériveur le plus rapide du monde et c’est le seul qui permet de virer et d’empanner sur les foils donc ça permet de tactiquer à 100% en volant (comme les catamarans de la dernière Coupe de l’América). C’est un bateau accessible en prix et un support très intéressant pour tous ceux qui doivent s’entrainer à la technique pointue sur foils. L’avenir de la voile est volante, ça c’est confirmé, et il suffit de regarder les Nacra 17 à foils (bateau pour les prochains Jeux Olympiques qui vient d’être modifié pour être équipé de foils) qui s’entrainent à l’heure où je vous parle sur le lac de Garde pour comprendre l’enjeu de la rupture vers tous ces supports volants.
Le Moth en plus est une classe ouverte et permet d’être un vrai laboratoire de développement et de recherches, c’est justement ce qui moi m’attire et je ne suis pas déçu de ce côté-là, y a du niveau ! »
Tu avais fait des modifications techniques, lesquelles ?
« Cette année j’ai opté pour un changement complet de la géométrie de mon gréement pour naviguer avec une bôme coudée. L’objectif était de rabaisser le centre de poussée de la voile pour pouvoir augmenter la puissance disponible au bateau.
J’ai conçu la bôme et ensuite je l’ai construite au technocentre d’Airbus à Nantes. Un énorme merci à eux pour ce travail passionnant, ils m’ont permis d’avoir une pièce prototype qui a remplit pleinement son objectif de naviguer avec une bôme en Z, c’était un vrai challenge en terme de structure pour que ce système tienne, et c’est gagné ! La prochaine étape va être de sceller de manière hermétique la voile au pont, c’est en cours et cette phase est complexe, il faudra également intégrer les systèmes à l’intérieur et réfléchir sur des gains de poids. Le processus de développement n’est pas fini mais on commence à s’approcher du graal et c’est clairement l’avenir.
Comme tout projet de développement ça demande du temps d’optimisation, j’ai dû recouper la voile pendant le championnat pour rajouter du volume dans le bas, mais c’est cette réflexion globale qui est intéressante et la classe Moth permet d’essayer des options en direct.
Ce projet est l’aboutissement de trois années de développement et c’est vraiment cette double approche de navigateur-ingénieur qui remplit à 100% mon intérêt pour le Moth. »
Tu décroches une place de 33ème / 240, quel est ton sentiment ?
« Au final même si le championnat a été vraiment difficile, certainement le plus dur en terme de niveau, et même si le plan d’eau ne laissait pas beaucoup d’opportunités tactiques, arriver à finir ce championnat par une manche de 10 vu le plateau et accrocher une place de 33ème, c’est honorable et clairement pas mal.
Je suis content, d’autant plus qu’il y a encore un mois il me manquait encore 30% de force sur la jambe gauche suite à mon accident de voiture en mars dernier et ma rééducation. J’étais encore en phase de rééducation et malgré mon oedème osseux toujours là qui me fait mal en permanence dans la rotule, j’ai pu attaquer et dépasser l’appréhension de la sollicitation physique.
Le championnat a été dur physiquement mais ça c’était valable pour tous les coureurs, on a tous finis à plat ! Des journées où on court 4 manches avec parfois 10 départs, c’est éreintant et on est tous rentrés le soir démolis !
J’ai eu de la chance d’être entrainé par Bertrand Dumortier dépêché par Fédération Française de Voile. Il est venu encadrer l’équipe des français, c’était vraiment un super support pour nous et un encadrement privilégié, merci pour tout. Félicitations à tous les compétiteurs, un spécial bravo à Paul Goodison (médaillé d’or JO, second barreur d’artémis sur la Coupe de l’América) qui garde le titre de champion du monde pour la première fois depuis que le bateau vole. Bravo aux autres français, et particulièrement à Philippe Presti qui était devant moi avant de se faire mal au dos sur le championnat, j’attends la revanche l’an prochain… »
Une anecdote ?
« Dans le rond or pour vous dire à quel point le niveau était serré, sur une manche les 74 bateaux sont arrivés en moins de 3 minutes, ça devient même difficile de noter les ordres d’arrivée ! Les départs se jouent à quelques centimètres près, il ne faut pas hésiter à faire des attaques hyper agressives contre les autres concurrents pour sortir du peloton, et donc prendre des risques, mais c’est tellement grisant ! »
Photo : Martina Orsini